A la découverte de nos racines…
Hommage à Wendo Kolosoy (1925 – 2008) par Clovis A. Mwamba
(Pour le parisien Kassoto)
« Tango ya ba Wendo »
(L’Époque de Wendo)
La chanson de charme et la guitare en écharpe sur le fleuve Congo
La meilleure façon de rendre hommage à un musicien mort est de célébrer son art qui seul l’immortalise devant la postérité.
Le début de la carrière musicale du patriarche (1930-1940).
De l’Ouest à l’Est, au rythme des cabotages des navires sur les côtes du majestueux fleuve Congo Wendo Kolosoy ouvre aux fils et filles du terroir la voie de la musique de variété dite musique congolaise moderne. Partout, au gré de l’inspiration de l’artiste, le martèlement de la cuillère sur la bouteille rythme et communique la joie et la peine agrémentées du merveilleux accompagnement du likembe, de lokole et de la guitare portée en écharpe. Marie Loisa (Marie Louise) inaugure la brochette des chefs d’œuvres de Kolosoy. A la faveur duphono (phonographe) l’artiste rayonne jusque dans les coins reculés des deux Congo (belge et français).
Influence de Wendo sur les capitales administrative et économique du Congo.
La réforme administrative intervenue en 1933 au Congo Belge crée six provinces: Léopoldville, Equateur, Orientale, Kasaï, Kivu et Katanga. Le gouverneur général réside dans la capitale à Léopoldville (Kinshasa), le vice-gouverneur général réside au Katanga à Elisabethville (Lubumbashi), la capitale économique. Wendo suscite des émules à l’Ouest comme à l’Est mais la différence de styles musicaux distingue
les deux pôles urbains.
Un pole musical, le Katanga
A l’époque, l’influence anglaise est prépondérante au Katanga en raison de l’environnement du Tanganyika (Tanzanie), de la Rhodésie du Nord (Zambie) et singulièrement de l’outil colonial de production Union Minière du Haut Katanga (Gécamines) tributaire de la main d’œuvre pionnière importée des Rhodésie du Nord et du Sud et du Nyassaland (1). Elle incline manifestement à la musique des noirs américains (2): le negro spiritual, le jazz, le swing, le rock and roll…
Le sabasaba dit “7/7” est la version en vogue dans les débits de boissons dits cabarets dans les centres extra-coutumiers «C.E.C». Le jecoké est l’expression scénique des spectacles populaires. Ainsi, l’exhibition des groupes appelés bands foisonne en habit, c’est-à-dire: pantalon astiqué de boléro, chemise plastronnée, nœud papillon, redingote et haut de forme. Si la batterie, le piano, les instruments à vent tel le saxophone et les trompettes venaient à manquer mais jamais la guitare ou le banjo.
Le guitariste chanteur, Jean Bosco Mwenda
Détaché de l’ombre envahissante de sa mère, une pleureuse, qui excellait en chansons aux réveillons et surtout aux lieux de deuils, l’adolescent Wendo pratique son chant, d’abord quasi en solo, puis en groupe. Il a popularisé ayoleli au Congo, le célèbre cri (au studio) des noirs américains des années 1930. Wendo incline au style du solitaire cow-boy américain à l’Est. Chez les mangeurs du cuivre notamment, au Katanga, lacountry music est égrenée à la façon du pays, aux sons de la guitare sèche rehaussés des tintements rythmés de la cuillère articulée sur la bouteille vide.
Le doigté délicat et la fantaisie exquise de virtuose et guitare d’or USA 1969, l’instrument magique de la musique congolaise en mains, Mwenda transmue son message d’amour en sonorités formatées, ainsi cette parodie:
Chaque fois que Bosco empoigne sa guitare
Elle adresse un chant d’amour à l’Aimée
Quand l’enfant du Pays Yeke gratte sa guitare
Elle distille un parfum d’amour envoûtant les cœurs
Car les six cordes allégrement chatouillées détachent
Des pétales qui fleurissent les pas enchantés de l’Amante!
“Marie Loisa” un chant qui réveille les morts
“En écoutant chanter Mari Loisa les morts se réveillaient de leurs tombes pour se mêler aux réjouissances des vivants dans les villages et dans les cités!”
Animiste et pittoresque, Wendo définit lapidairement en ces termes sa réussite musicale rattachée aux racines ancestrales. L’œuvre plaît au cœur et aux oreilles des «vivants et des morts» en rompant la barrière entre eux. La société africaine intégrale participe à la dance qui demeure inséparable du chant, des battements des tam-tams, des mains, des pieds, des secousses du corps sollicité tout entier. Ainsi chante le Poète Senghor: “Nous sommes les hommes de la danse dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur!”
Composition musicale achevée donc, dans l’au-delà et ici-bas, par-delà les époques et les lieux Mari Loisarévèle un talent affirmé aux Congolais des deux rives. Wendo Kolosoy décline de manière particulière un thème universel. Il invite l’artiste à demeurer authentique, attentif à son âme dans la fidélité à l’inspiration de son cœur !
“Marie Louise”un hymne à l’amour et à la beauté
Mari Loisa est un hymne à l’amour et à la beauté, diffusé la première fois sur disque au Congo Belge. A l’Est, à l’Ouest et sur la rive droite du fleuve commun, au Congo français, Wendo s’impose comme un modèle à l’artiste musicien. Celui-ci inaugure chaque fois son talent de compositeur en l’imitant. Dès lors, les noms et les prénoms féminins coiffent un florilège des chefs d’œuvres retentissant comme des clins d’yeux faits au maître. A cet égard, le Katanga n’est pas en reste avec ses compositions en swahili ou alternée swahili-ciluba:Marguerite (1949) de Léon Bukasa Tshosha exécuté sur le rythme du sabasaba (7/7); Marie Josée, mieuxBumbalaka,un chant un tantinet frondeur, atypique du répertoire moralisateur à souhait de Jean Bosco Mwenda; Ntumba Kamwanya (1956), Pauline (1958), Ngalula (1958) etc. de Kabongo Paris. Ces chansons ont révolutionné les mœurs au grand dam du pouvoir moral échoué (l’Eglise catholique) dans l’éclatement dutrinôme colonial: Etat, Eglise, Sociétés (1956). Après l’indépendance, et dans la même lignée Malaika (1961) de Masengo, ‘frère cadet’ de Jean Bosco, interprété en swahili par Mama Africa, Miriam Makeba.
Mari Loisa, un chant mis à l’index
L’Eglise constituait le pouvoir moral au sein du trinôme Etat-Eglise-Société au Congo Belge. Dans le contexte de l’époque le chant Mari Loisa a été mis à l’index. Car subversif à plus d’un titre. Il mettait en évidence le facteur amour, le péché contre lequel l’Eglise s’acharnait à détacher le Congolais supposé (selon la psychologie coloniale) conduit moins par son cortex (la raison et la spiritualité) que par son hypothalamus développé. Par conséquent, le noir fut porté naturellement à la chair qu’à la contemplation! Le folklore fut interdit aux élèves qui, à coup sûr, étaient chassés de l’école s’il advenait que le curé l’ait su.
Mari Loisa et l’émancipation de la femme congolaise
Avec Mari Loisa, le folklore investit le cabaret. Il venait de marquer autrement un pas décisif dans le développement culturel des centres urbains. La danse maringa naquit, appropriée aux temples du plaisir et exécutée en compagnie d’une «femme libre», une création des milieux nouveaux ou acculturés. C’est par l’exercice du métier le plus vieux du monde et la fréquentation du bar instauré comme lieu de racolage de clients masculins que la femme congolaise, ignorée de la formule HAV (homme adulte valide) de la Main d’œuvre Indigène MOI entreprit son émancipation. Traitée « invalide » au même titre que les infirmes, les vieillards et les enfants, la femme reconnue par l’Etat colonial fut admise au payement de l’impôt per capita.
Le monde des affaires s’ouvre ainsi aux Congolais, leur offrant les agréments de la civilisation, la production musicale et brassicole accompagnée de la publicité. Bref, les Congolais sont devenus aussi des consommateurs. La divergence des intérêts au sein du trinôme colonial commença à se faire sentir. La fin de la 2è Guerre mondiale permit l’entrée nombreuse des anticléricaux au Congo Belge. Pire, le succès musical en réveillant les morts mêlés aux réjouissances des vivants jurait contre les prescrits de l’Eglise. Celle-ci enseignait aux Congolais l’existence d’un au-delà de contemplation avec possibilité de résurrection à la fin des temps et non la permanence des morts partageant la liesse des vivants jusqu’au cabaret!
(A suivre.)