Les chanteurs de Soukous en Australie
(1ère partie)
LEONA KAKIMA – le lushois – enfant de la capitale du cuivre – enfant du Katanga
«Mwana Lubumbashi»
Leona Kakima est né au cœur de l’Afrique, au pays du Soukous (RDC). De son vrai nom: Léonard Kabemba Kilombo Mathurin. Leona est le diminutif de Léonard; Kakima, un nom composé des apocopes [Ka] – bemba, [Ki] – lombo et [Ma] – thurin.
“La musique dans le ventre”.
Sous entendu le ventre maternel. Cette métaphore définit la famille comme source du talent d’un artiste et signifie ‘posséder la musique dans le sang’. La grande mère de Leona Jeanne Mutombo Amelia fut “nganga”. Par le chant et la danse, au rythme de battements de tams-tams, cette femme-médecin traditionnel soignait et guérissait ses malades: «Ses chansons m’ont pénétré à partir du ventre maternel» révèle son petit-fils inspiré. En effet Sungwe Monique, la mère de Leona, en était douée. Elle ressemblait à sa mère et portait également son nom. Ingénieuse, elle recourait souvent aux chansons pour apaiser la colère en famille.
Dans la ville de Lubumbashi le père de Leona chantait à la Basilique, puis à la Cathédrale. Rompu au solfège à l’époque coloniale, sa voix de séraphin lui valut à 18 ans le surnom de Rossignol.
Par le chant la génération des parents croise la génération des enfants. Jeune encore Leona bénéficie de l’influence de Claude Kilombo, son frère aîné qui jouait avec talent le banjo et la contre basse. Telle sa mascotte ou son ombre confie Leona: «Je le suivais partout, quand il s’exhibait dans les cités. J’agrémentais ses concerts de secousses rythmées des hanches, d’admirables contorsions du corps, des pas allègres et saccadés de danse. A ce titre. Choisi, j’intégrai son groupe ‘Bozambo’. Ainsi sur le podium du célèbre Bâtiment du 30 Juin, à l’âge de 10 ans (1975) je gagnais le concours urbain de danse. Comme prix, j’obtins un carton de biscuits de marque VAP (Victoria, Aiglon, Parain).
Un danseur confirmé dans la cour des grands.
En 1976 le ‘recours à l’authenticité’ du mobutisme rayonne au Congo et en Afrique. A côté des orchestres de rumba rivalisent et prolifèrent des groupes d’’animation culturelle’ soutenus par le Parti-Etat. Leona en fit partie au Katanga. Il débute dans la formation de sa commune de résidence, le ‘Tout Kampemba’. Au bout de 6 mois, il connaît l’apothéose. Il intègre le célèbre groupe régional ‘Bana Shaba’ fondé par Kot Wan Mutomb parrainé par le président de la république, Mobutu Sese Seko. Ainsi, le talentueux adolescent devint la coqueluche disputée par les clubs dansants des jeunes (‘fans clubs’) qui arboraient fièrement les noms de vedettes ou d’orchestres en vogue: ‘James Brown’, ‘Zaiko’ etc.
Un chanteur est né.
En 1977, Leona s’essaie aussi à la chanson dans ‘Fanya Monastère’ (crée un monastère). Cet orchestre répète à la paroisse catholique de la commune Kenya chez le père Eugène. Un an à peine l’adolescent rêve de sa première sortie publique au ‘Bar Kol Kwishi Men’ (allons chez nous en rund) sur la prestigieuse Avenue Basilic. Au concert il essuie une amère déception. Il ne pourra pas chanter! L’orchestre fait fiasco. Cependant au comble du désespoir, les musiciens ravisent dans la foule la présence d’un boudeur, capable de les sortir du mauvais pas. Ils sollicitent son concours. Le petit-fils de ‘Nganga Amelia’, le fils de Mutombo et de Rossignol relève le défi. L’orchestre est sauvé du naufrage.
Cette prouesse fit découvrir le jeune Leona au public lushois. Deux concerts suffisent. Car ‘Lofimbo Stars’ lui fait une offre alléchante par le truchement de Los Lea Kandolo Kalenga, son ami. La lune de miel débutée en 1977 s’éteint par le décès inopiné du compagnon de chant (1979). Leona est inconsolé. Privé de son plus-que-frère sa vie devient insupportable dans sa ville natale, chargée du souvenir douloureux. L’oiseau solitaire vole vers des nouveaux horizons en emportant, au cœur et au bec, la chanson pour soigner sa peine. Il émigre à la frontière de la province à Kasumbalesa (1980).
En effet la Zambie, le Kenya, la Tanzanie, le Zimbabwe, l’Ouganda sont les débouchés naturels des musiciens originaires du Katanga. Sur les pas du célèbre ‘Baba Gaston Band’ l’orchestre ‘Fauvette’ fit le tour desdits pays. Retourné dans la province du cuivre, muni des instruments de haute performance: il se disloque. Les transfuges se regroupent à Kasumbalesa, respectivement dans les orchestres ‘Super Boka’ et ‘Super Shaba’. A la porte d’entrée en Zambie Leona, placé au-dessus des querelles, chante avec les uns et les autres.
La complicité féminine: la grande mère (reine), la mère (princesse) et l’enfant (petit prince).
Au Congo le sevrage brusque intervient à la marche de l’enfant. Il oblige très tôt ce dernier à rejoindre le groupe des pairs pour constituer sa classe d’âge. Entre Leona et sa mère le cordon ombilical psychique remplace le cordon biologique, rompu à la naissance. Juché en cavalier, au dos ou aux flancs maternels, tel un rapace, il domine le paysage du regard. Il traîne partout le pouce à sucer comme une proie dans la bouche tandis que, agrippée sous l’aisselle maternelle, sa main gauche se réchauffe. L’en détacher provoquera d’emblée un drame. Tant pis! Ses aînés, Francis Kimoni et Claude, le jalousent. Comme une ascension la maternité change le statut social de la mère qui porte ainsi le nom de son premier-né, fille ou garçon. La primogéniture compte. Dans le cas d’espèce, contrairement à la coutume: ‘Mama-Kimoni est appelée ‘Mama-Kabemba’!
Ses talents incomparables de batteuse de tam-tam valent à Nganga Amelia le surnom de ‘Lupopo’. Mama-Kabemba est douée pour le chant. Toutefois, la mère et sa fille se complètent dans les séances rituelles de ‘nganga’, de mariages, d’initiation, etc.
A l’apparition des règles par exemple, les filles regroupées en classe d’âge sont soumises au Kisungu. La danse clôture ce rite des initiées. L’amour compulsif de cet art pousse Leona à infiltrer la cérémonie réservée exclusivement aux filles. Travesti en robe, il exécute jusqu’à la fin cette danse collective sans éveiller le soupçon des filles et des observateurs avertis. Ce mimétisme osé témoigne de sa vérité psychologique profonde.
A l’audition de ‘Kiyongo tebateba’, un hymne à la maternité très populaire au Sud-Katanga, le jeune Leona se trémousse. Il danse en descendant, bas, très bas. Il se fait petit, tout petit, à vouloir ouvrir le ventre de la terre-mère comme pour s’y enterrer vivant: voilà un merveilleux danseur! Exécuté aux cérémonies du mariage Kiyongo tebateba incite la fille nubile à vouloir aussi devenir mère. Leona n’est pas une fille. Il s’appelle ‘Kabemba’ (qui signifie) l’aigle royal. En effet il appartient à la dynastie Lukonzolwa régnant dans la Zone de Pweto, au Royaume de Lwanza, dans la province du Katanga. La reine Léonie Kabemba prophétisa la naissance illustre de l’Aiglon-Voyageur appelé à sillonner le monde. C’est pourquoi le petit-fils est né porteur depuis le ventre maternel du nom complet de sa grand-mère paternelle: Léonard Kabemba.
Le voyage, une quête initiatique
Réputée pour ses activités illicites, la ville de Kasumbalesa n’est pas étrangère à Leona. Sa mère y pratique le commerce informel appelé ‘trafic’: elle exporte en Zambie les ‘mindule (coiffures spéciales et extravagantes des dames), les ‘bitoyo’ (poissons salés) etc. En échange, elle importe le ‘sukari’ (sucre), le ‘mafuta ya sarta’ (huile d’arachide) etc. qui manquent à la ville industrielle de Lubumbashi. D’ailleurs, la maison familiale au quartier ‘Bel Air’ fut construite avec des tôles ramenées de la Zambie.
En séjour prolongé à Kasumbalesa, l’enfant confiait à sa mère: “Un jour, je traverserai cette frontière, j’entrerai en Zambie; vous ne me reverrez plus!” Et fixant de nouveau le macadam étendu en face d’eux: “Maman, tu vois cette route? Le jour que je l’emprunterai, je ne reviendrai plus!” Tout ému encore Léona se rappelle dire ces paroles pour la dernière fois en dégustant, palpé et délicatement pressé le sachet laiteux de ‘zoyi’ porté aux lèvres. La mère dubitative et complaisante riait de la naïveté du fils qui traînait dans son giron malgré son âge avancé.
L’itinéraire de Leona a tout lieu ici d’un parcours initiatique. Un fils à un moment sentit la nécessité de couper le cordon ombilical le reliant psychologiquement à sa mère. Il veut mettre fin à l’identification féminine expérimentée pendant l’initiation, aux fins de revendiquer sa masculinité à ses risques. La mort de Lea, vécue comme la sienne, sonne comme un déclenchant. L’enfant solitaire s’éloigne de sa ville identifiée au giron maternel, cherche à renaître ailleurs, à découvrir et à conquérir le monde comme un héros. Le cas rapporté ci-dessous, déroulé à plus de deux mille km du Katanga, dans un contexte différent, met en évidence l’intervention singulière de la figure paternelle.