KING BELL – le Kinois – enfant de la capitale congolaise, enfant de l’ Angola
King Bell définit sa personne en situation: un ‘étant-là’. Son lieu de naissance et l’endroit où il a grandi sont présentés à la manière bantu: “Je suis né en 1962. Ma famille habitait l’avenue Kabalo dans la Zone (commune) de Kinshasa. Elle a émigré dans la Zone de Lingwala et, en 1968, définitivement dans la Zone de Ngaliema.” Ainsi résume-t-il à s’y méprendre, l’histoire de sa ville natale après l’indépendance.
Jill, pour les intimes, a vécu les mutations ayant affecté la capitale congolaise. De ‘ville neutre’ Léopoldville a été baptisée Kinshasa, du nom de la commune qui vit naître Gilbert. La commune de Ngaliema a été formée en grignotant la province du Kongo Central, en hébergeant l’ancien Mont Stanley retiré à la commune de Kalina devenu le Mont Ngaliema. Celui-ci, par métonymie, désigne le palais du président de la république. Plus tard, il abrita la Cité de l’ (Organisation de l’) Union Africaine réservées aux chefs d’Etat et de gouvernements africains.
La cour des grands
A onze ans, Gilbert débute comme ‘Petit chanteur et danseur de Ngaliema’. Ce groupe artistique à peine créé, évolue dans la cour des grands, au propre et au figuré. Composé de trente filles et garçons âgés de quatorze à quinze ans, il s’exhibe au Mont Ngaliema, au palais du président de la république du Zaïre.
En effet «élu président» en 1970, Mobutu rêve de célébrité mondiale.
En 1974, les Petits chanteurs et danseurs de Ngaliema figurent parmi les vedettes conviées au Combat du Siècle organisé à Kinshasa. Ce rendez-vous de prestige réunit autour de deux poids lourds de la boxe mondiale la brochette de musiciens de renom: du ‘rythm and blues’ américain James Brown ; de ‘rythmes latino américains’ Johnny Pacheco; du ‘soul makosa’ Manu Dibango, de la ‘rumba congolaise’ Kallé Jeff, Franco Lwambo etc.
A cette occasion ‘les Petits Chanteurs et Danseurs de Ngaliema’ et leurs homologues “les Petits Chanteurs de Kenge” agrémentent l’accueil et le séjour des hôtes du président du Zaïre respectivement George Foreman et Mohamed Ali. A la réception dominicale des délégations américaines au Mont Ngaliema, les enfants se produisent sur la scène avec ‘Mama Africa’ Myriam Makeba et le trompettiste Hugues Masekela.
Un groupe musical aux attaches politiques
Pendant la Guerre froide le groupe des ‘petits chanteurs et danseurs de Ngaliema’ est créé en 1973 par le Front National de Libération de l’Angola ‘FNLA’ dirigé par Roberto Holden. Ce mouvement de libération est soutenu par les mercenaires, l’armée congolaise, l’armée sud-africaine et la CIA. Pressenti président de l’Angola indépendant R. Holden s’initie à ses fonctions futures auprès du président Mobutu. Celui-ci s’entoure des ‘petits chanteurs de Kenge’ à l’instar des célèbres Troubadours du Roi Beaudouin à l’époque coloniale. R. Holden s’entoure des petits chanteurs et danseurs ‘angolais’ de Ngaliema.
La vérité ainsi devient aussi claire que l’eau des roches. Ces jeunes artistes font minutieusement partie des préparatifs d’inauguration de la fête de l’indépendance nationale de l’Angola. Ils célébreront la Victoire du FNLA et la proclamation du beau-frère de Mobutu, R. Holden, comme le premier président de la république.
Le retour au pays de rêve des parents
Les ‘petits chanteurs et danseurs de Ngaliema’ n’effectueront pas le voyage triomphal rêvé en Angola. Le groupe musical est disloqué. En 1975, l’indépendance de l’Angola est proclamée aux dépens de l’échec militaire cuisant du FNLA. Le président R. Holden part en exil doré aux îles des Caraïbes.
“Viva la musica!”
Jill demeure à Kinshasa jusqu’en 1979 et fréquente l’orchestre ‘Viva la Musica’ de son idole Papa Wemba, le roi de la sape, la religion congolaise du vêtement. Son dévolu jeté sur le chanteur n’est pas vain. Il remonte au fameux Combat du Siècle. L’appellation espagnole du groupe immortalise le cri de ralliement universel lancé pendant l’exécution du grandiose festival au Stade du 24 Novembre par le célébrissime Johnny Pacheco: “Viva la musica!” Désormais chez Jill le destin musical et la sape sont scellés.
Un itinéraire initiatique
Entre 1975 et 1976, incapables de survivre à la désintégration du groupe musical, certains jeunes risquent la traversée clandestine à pieds de la forêt dense jonchée des mines anti-personnelles pour pénétrer en Angola. D’aucuns y laissent la peau. Resté à Kinshasa Jill noie sa déception dans la fréquentation des ‘Enfants Terribles’ du Quartier Molokai. Son père est au chômage: « J’ai été obligé de ‘couper le tchik’ (interrompre l’école)!»
Le père cependant médite et décide. Le trublion prince doit se retremper dans ses origines. De ses neuf frères et sœurs Jill ira le premier en Angola. En effet Kobo Munzemba, le grand père paternel, règne sur le royaume recouvrant le village de « Kimbamba ». Il est situé dans la commune de « Nkama Ntambo » dans la municipalité de « Damba », dans la province d’ « Uiji ». L’adolescent rechigne de quitter la capitale kinoise et de voyager vers un pays inconnu et lointain, l’Angola, le pays natal de ses parents réfugiés au Zaïre.
« Mourir à l’enfance »
Jill connaît le choc émotif d’adieu au royaume de son enfance. Car il doit se séparer des amis, des frères et sœurs, du Quartier Molokai…
Son père demeure ferme. La valise de l’enfant à la main, il invite celui-ci à franchir le seuil de la maison. Certes, les larmes versées abondamment attendrissent la maisonnée mais Jill en sanglots doit emboîter le pas à son père, engagé déjà sur la route. A deux, ils se dirigent vers le terminus situé dans la commune de Kasa-Vubu, à l’intérieur du populeux et historique marché Mariano constituant le point central de rencontre des angolais. Ses yeux embués pendant le parcours libèrent un torrent de larmes en embarquant dans le véhicule. Celles-ci ne briseront pas la volonté d’airain du patriarche. Le bus s’ébranle. Jill maudit le véhicule qui ne tombait pas en panne. La mécanique avance. Il se souvient encore de ses dernières larmes séchées à l’absence de son père en traversant la zone de Badiadingi. Jill se rendit définitivement à l’évidence du saut vers l’inconnu: « mourir à l’enfance » pour renaître ailleurs.